Mes années Libération.

Collaborer à l'un des principaux quotidiens nationaux est une expérience formidable . Quand cette collaboration se poursuit pendant 20 ans, cela devient extraordinaire. Des multitudes de personnages rencontrés, des situations difficilement croyables parfois. Une tension quotidienne pour ne pas manquer le bouclage malgré des circonstances souvent contraires à la bonne marche, simplement parce qu'il y a un journal à faire . Par dessus tout une adaptation extrême, mais un plaisir immense.

Ete 2002, Direction la catalogne, aux sources du Vichy catalan pour une série sur l'eau. Au détour d'une rue, cette petite dame qui remplit son récipient à une fontaine, pur moment de grâce .
polaroïd type 55 avec négatif noir et blanc et l'obligation de se déplacer avec un bocal à confiture pour rincer et fixer le négatif.

Mai 2012. La collaboration avec un quotidien national peut amener bien des surprises, par exemple arriver après plusieurs heures de route, dans une petite bourgade de l'Ariège, pour y faire le portrait d'une femme politique, au parcours atypique. Et cela dans une ambiance très surprenante

Juillet 2003 Lançée comme un pari, à la cafétéria du journal, l’idée de suivre l’intégralité du Tour de France cycliste, comme cela s’était déjà fait par le passé. Je ne suis pas un grand fan de vélo, mais cette traversée d’une partie du pays, et pouvoir y croiser tous ces gens sur le bord des routes m’excitait beaucoup. Après un montage matériel laborieux pour cause de finances serrées à Libé, c’est parti pour 3 semaines, une image par jour, carte blanche avec mon texte qui accompagne mon image. Un très grand moment de bonheur pour un photographe

Août 2007. Il fut un temps des Libévilles. Le service photo choisissait un photographe pour raconter une ville. Impératif premier, le photographe ne devait pas connaître cette ville. Deux ou trois jours le nez en l'air et les kilomètres dans les chaussures, avec des points de passages obligés, portraits, etc, et surtout une immense latitude pour retranscrire l'ambiance d'une cité. Ici Bordeaux, une péniche sur la Garonne.

Image publiée le 10 Août 2000 . Photographier, c’est faire des rencontres, certaines sont moins légères que d’autres. Un jour d’août, un coup de fil du service photo en début d’après-midi « tu es libre demain, j’aurai peut-être un portrait à faire ? » Second appel plus tard « finalement, est-ce que tu pourrais y aller tout de suite, on a besoin des images rapidement « C’était un temps sans numérique où les films voyageaient par train ou avion. Plus de 3 heures de routes avant d’arriver chez Claire et sa fille. Celle-ci est gravement handicapée, sûrement à cause des éthers de glycol respirés par sa mère durant la grossesse. Je trouve une femme épuisée et une enfant, juste une enfant…Je fais les images jusqu’à la dernière lueur utilisable dans leur jardin, bobine après bobine. A la nuit bien avancée, retour par l’autoroute, quelques heures de sommeil dans la voiture, sur un parking, afin d’arriver à temps pour déposer mes films à l’aéroport pour le premier avion vers Paris. Il y a des rencontres moins légères que d’autres !

6 janvier 2014 .Une dame, seule, dans son pavillon de la banlieue toulousaine. Son fils Nicolas, parti pour le jihad en Syrie vient de mourir, attentat suicide. Elle l'a appris par un sms. Peu de temps après ça sera le demi frère de celui-ci. Les premiers d'une très longue liste. Un portrait doit se faire rapidement, je repars toujours insatisfait, mais là c'est moi qui ne peux pas aller plus loin.

Image publiée le 14 Avril 2014 . Une journée presque normale. Un appel de la rédactrice en chef du service photo du journal. C’est assez inhabituel et souvent le signe d’un sujet hors de l’ordinaire. Proposition d’aller photographier un couple de jeunes femmes qui désirent avoir un enfant grâce à la PMA. Jusque-là tout va bien. Les complications arrivent juste après. Ca sera un portrait dans lequel les personnes ne doivent absolument pas être reconnaissables. C’est la condition sine qua non pour les rencontrer. J’ai le choix d’accepter, ou non ! La rencontre se fera sur une aire d’autoroute, middle of nowhere. Aucun lieu identifiable afin de ne pas localiser la région. C’est juste quelque part en France. Première poignée de main, sous tension, rappel des conditions de l’exercice. Un peu sur la corde raide pour un photographe. Puis une détente dans les gestes se met en place, une écoute de l’autre pour conduire à un portrait presque ordinaire. Une autre séance suivra, plus tard, pour continuer à raconter leur histoire. Une époque ou le photographe pouvait disposer de temps pour établir une relation de confiance avec son modèle et réussir à effleurer son intimité. Une époque révolue dans la vision actuelle.